lundi 9 janvier 2012

Révolutions arabes : les gaz des manifs suspectés d'être mortels

Révolutions arabes : les gaz des manifs suspectés d'être mortels

Tribune Des Droits Humains
Des manifestants évoquent une toxine mystérieuse, peut-être un agent neurotoxique interdit, présente dans les épais nuages des gaz lacrymogènes utilisés par les forces de sécurité. A Bahreïn, ce gaz est soupçonné d'avoir causé la mort de huit civils depuis février.


Les yeux d'un manifestant sont nettoyés avec du lait pendant une manifestation au Caire, le 21 novembre 2011 (Goran Tomasevic/Reuters)
(Du Caire) « Je me suis senti faible et étourdi pendant plusieurs jours, et mes mains n'arrêtaient pas de trembler », se souvient l'Egyptien Mahmoud Hassan qui a été hospitalisé en urgence le mois dernier. Il avait inhalé des gaz lacrymogènes lors d'une manifestation contre le régime militaire au Caire.

Pour ce chef en marketing, le gaz était bien plus fort que celui utilisé par les forces de sécurité lors du soulèvement qui a renversé le dictateur égyptien Hosni Moubarak le 11 février. Hassan insiste :

« Ce n'était pas du gaz lacrymogène, c'était autre chose. La peau et les poumons me brûlaient. Nous nous sommes tous effondrés par terre, pris de spasmes incontrôlables. »

Un gaz similaire est soupçonné d'avoir causé la mort d'au moins huit civils à Bahreïn depuis le mois de février.

Un médecin « sûr à 90% que c'est du gaz neurotoxique »

Au Yemen, des médecins ont indiqué que les manifestants exposés à ce qui semblait être du gaz lacrymogène sont arrivés dans des hôpitaux ­paralysés, inconscients ou en convulsions. Les traitements habituels pour l'exposition aux gaz lacrymogènes n'avaient aucun effet sur eux.

Le docteur Sami Zaid, physicien à l'hôpital de la science et de la technologie de Sanaa, la capitale du Yemen, confie :

« On a observé des symptômes dans le système nerveux des patients, et non dans leur système respiratoire. Je suis sûr à 90% que c'est du gaz neurotoxique . »

Les troubles observés au Caire ou à Sanaa sont étonnamment similaires :

une forte sensation de brûlure de la peau et des poumons,
des nausées,
une paralysie,
des convulsions,
et, dans certains cas, la mort.
Des gaz de fabrication américaine et française

La plupart des bombes lacrymogènes trouvées près de la place Tahrir au Caire après les récentes manifestations possèdent le timbre de fabrication des Combined Tactical Systems (CTS), une entreprise américaine.

« Nous pensons que les bombes CTS causent ces symptômes étranges », explique Sherif Azer, de l'Organisation égyptienne pour les droits humains (EOHR ). A Bahreïn, la plupart des bombes sont de fabrication américaine et française.

Ramez Moustafa, neurologue à l'université Ain Shams au Caire, a observé à plusieurs reprises ces symptômes lors de ses visites dans les hôpitaux de fortune dressés sur la place Tahrir le mois dernier :

« Avec mes collègues, nous avons été témoins de personnes frappées de convulsions. Même en concentration élevée, des gaz lacrymogènes usuels n'affectent pas le système nerveux. Certaines personnes sont mortes d'une attaque. »

Une accusation souvent entendue est que les forces de sécurité utilisent des gaz lacrymogènes périmés. Le gaz a une durée de vie de trois à cinq ans, mais les activistes à Bahreïn et en Egypte ont publié des photos de bombes dont la date de production dépasse les dix ans. Selon eux, en vieillissant, les composants chimiques pourraient devenir dangereux.

Les experts contestent toutefois cette hypothèse. « Le gaz lacrymogène a plutôt tendance à perdre de sa puissance avec le temps », explique Kamran Loghman, ancien président de Zarc International, un des poids lourds américains dans la fabrication des sprays chimiques non létaux.

Cyanure et arsenic

Selon lui, il est plutôt probable que les symptômes observés soient le résultat d'une surexposition. Depuis le Printemps arabe, les forces de sécurité ont intensifié l'utilisation de gaz lacrymogènes, bien au-delà des doses nécessaires pour neutraliser un individu, n'hésitant pas à enfumer des manifestants dans des endroits exigus. Des études ont démontré qu'avec une exposition prolongée ou intense, le corps humain peut métaboliser le gaz CS en un cyanure mortel.

Le ministère égyptien de la Santé a déclaré que les bonbonnes de gaz lacrymogène testées ne contenaient aucune toxine mortelle. Une analyse indépendante aurait, elle, découvert que le gaz lacrymogène utilisé au Caire contiendrait un mélange de 2,5% de cyanure de brome et de l »arsenic . La guerre de l'information est loin d'être étouffée.
source rue89