mardi 17 janvier 2012

« Le seul acquis de la révolution de Jasmin : les Tunisiens ont le droit de s'exprimer »

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« Le seul acquis de la révolution de Jasmin : les Tunisiens ont le droit de s'exprimer »
samedi 14.01.2012, 05:36 - La Voix du Nord

Pour Hédi Saïdi, de bons opposants ne font pas forcément de bons gouvernants.
| • LE VISAGE DE L'ACTUALITÉHÉDI SAÏDIVILLENEU |

Il y a un an, Ben Ali quittait Tunis, débarqué par ce qu'on a appelé la révolution de Jasmin. À l'occasion de cette date-anniversaire, nous avons rencontré le Villeneuvois Hédi Saïdi, enseignant-chercheur franco-tunisien qui retourne régulièrement dans son pays. Selon lui, la Tunisie vit dans l'inquiétude et l'instabilité sociale depuis la victoire des islamistes. Et les rues pourraient se remplir à nouveau.

PROPOS RECUEILLISPAR VIRGINIE BOULET


villeneuvedascq@lavoixdunord.fr PHOTO « LA VOIX »

Quelle a été votre réaction à la victoire d'Ennahda en octobre ?

« Je ne conteste pas les résultats des élections. Mais le peuple de la révolution n'est pas celui des urnes. En fait, Ennahda a bien manoeuvré. Les islamistes ont joué sur le fait qu'ils avaient été torturés sous l'ancien régime, ce qu'on ne peut pas contester, comme l'ont été les droits-de-l'hommistes. Mais contrairement à ces derniers, les islamistes sont restés structurés, ce qui explique en partie leur victoire. Ils ont aussi fait campagne sur le fait qu'ils représentaient notre vraie identité, en opposition à la Tunisie occidentalisée à l'extrême de Bourguiba et Ben Ali, présentée comme athée. Mais il faut arrêter avec ça ! L'identité tunisienne n'est pas forgée dans l'islam. Elle est tout à la fois berbère, arabe, carthaginoise, espagnole, française, juive ! » Comment jugez-vous aujourd'hui la troïka au pouvoir ?

« En s'associant à deux partis soit-disant de gauche, Ennahda a cherché un visage présentable. Mais dans les faits, il a tous les pouvoirs, les ministères-clés. Et puis, ils se revendiquent d'un islam modéré, mais ça n'existe pas. Dans le discours de politique générale, le point 16 est clair. Il appelle à "la lutte contre la dégradation des moeurs et le retour de l'ordre moral". À ceux qui lui reprocheraient de vouloir attenter par là aux droits des femmes, le pouvoir dit qu'il vise la corruption ! Il fonctionne en envoyant des ballons d'essai. Il s'est dit favorable à la polygamie, mais quand il a vu qu'il y avait des réactions, il a rétrogradé : "seulement si la première femme est d'accord... ". Le discours est apaisant mais chaque phrase se termine par un « mais, dans le respect de la charia... ». Ce qui s'est passé à l'université de la Manouba, récemment, est à ce titre édifiant. Des islamistes ont manifesté parce que la direction ne voulait pas que des jeunes filles passent les examens en voile intégral. Pour des raisons de sécurité, pour éviter les tricheries. Face à ces manifs, le président Marzouki (NDLR : issu d'un des deux partis associés à Ennahda) n'a eu aucune réaction. » Quelle est la situation économique ?

« La situation est dramatique. La croissance est toujours négative, le chômage et le non emploi ont augmenté, la pauvreté s'est aggravée. Pour la première fois, j'ai vu des SDF dans la rue. L'instabilité sociale est forte, les grèves sont dures, sans modération syndicale. Les islamistes ont fait leur campagne en assurant que les pétrodollars allaient arriver des pays voisins et amis, mais les Tunisiens ne voient rien venir. L'inquiétude est d'autant plus forte que le pouvoir n'a aucune ligne économique. Pas de chiffres, aucun engagement clair sur la façon de réduire l'endettement... On ne sait même pas s'il a choisi un modèle libéral, ultralibéral, étatique ! Mais si la population se sent en insécurité, il n'y a aucune nostalgie ! » Comment voyez-vous l'avenir ?

« Les Tunisiens vont redescendre dans la rue, les femmes, les intellectuels, les enseignants... Les jeunes sont exclus des fruits de la révolution, dont le seul acquis est le droit de s'exprimer. Aujourd'hui, la population peut se faire entendre et elle le fait ».