dimanche 11 décembre 2011

Sans-papiers: cacophonie judiciaire après un arrêt de la Cour européenne

Sans-papiers: cacophonie judiciaire après un arrêt de la Cour européenne


Confirmation dans certains cas, annulation dans d'autres: en trois jours les tribunaux français ont fait une lecture différente d'un arrêt de la Cour de justice de l'Union Européenne (CJUE) sur le placement en garde à vue des étrangers au seul motif d'un séjour irrégulier. ( © AFP Miguel Medina)
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PARIS (AFP) - Confirmation dans certains cas, annulation dans d'autres: en trois jours les tribunaux français ont fait une lecture différente d'un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) sur le placement en garde à vue des étrangers au seul motif d'un séjour irrégulier.

A Paris, la cour d'appel a rendu deux décisions contradictoires, l'une mercredi favorable à un ressortissant chinois dont elle a jugé le placement en garde à vue "irrégulier", l'autre jeudi défavorable à un Tunisien dont elle a considéré "régulière" la privation de liberté.

Des décisions également contradictoires ont été rendues jeudi à Aix-en-Provence et à Douai, selon des avocats contactés par l'AFP. Vendredi, le tribunal de Bobigny qui a examiné un autre cas a mis son jugement en délibéré au 27 janvier.

"Ca va continuer ainsi jusqu'à ce que la Cour de cassation se prononce sur la question", commente Me Henri Braun, qui a plaidé dans l'affaire de Bobigny.

"En attendant, le sans-papier en instance doit espérer tomber sur le bon juge. Il joue son sort à quitte ou double", estime le juriste Serge Slama, expert en droit des étrangers.

Tous les cas cités ont été examinés après un arrêt, mardi, de la Cour de justice de l'UE affirmant qu'un étranger ne pouvait être emprisonné au seul motif d'un séjour irrégulier, puni par la législation française (Code d'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile, CESEDA).

La détention n'étant ainsi plus autorisée, les étrangers en situation irrégulière ne doivent pas être placés en garde à vue puisque une loi entrée en vigueur en juin prévoit cette mesure dans le seul cas d'une personne soupçonnée d'avoir "commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement".

La justice européenne était appelée à se prononcer dans un différend opposant le gouvernement français à un citoyen arménien, Alexandre Achughbabian, entré clandestinement en France en 2008 et qui, refusant de se soumettre à un ordre d'expulsion, avait été placé en garde à vue puis en rétention pour séjour irrégulier sur le territoire français.

Le droit européen "s'oppose à une législation nationale (ndlr, le CESEDA pour la France) qui impose une peine d'emprisonnement à un ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier au cours de la procédure de retour", a jugé la Cour de Luxembourg dans son arrêt.

Mais la législation européenne ne s’oppose pas non plus à un placement en détention le temps de déterminer le caractère régulier ou non du séjour d’un ressortissant d’un pays tiers. Toutefois, a souligné la CJUE, les autorités nationales sont tenues d’agir "avec diligence et de prendre position dans les plus brefs délais".

Du coup, cet arrêt apparaît comme un "compromis boiteux", aux yeux de Serge Slama. Autant le gouvernement que les ONG s'en sont d'ailleurs réjouis.

"La CJUE confirme que le recours à la garde à vue en matière de séjour irrégulier est compatible avec le droit communautaire", ont commenté le ministre de l'Intérieur, Claude Guéant, et celui de la Justice, Michel Mercier.

De son côté, la Cimade, association assistant les étrangers notamment en rétention, affirme que "le gouvernement a été encore une fois désavoué par la justice européenne".

"Cet arrêt, on l'espère, freinera l'administration dans sa course effrénée au chiffre, entraînant interpellations massives et gardes à vue abusives" (74.000 en 2010 pour séjour irrégulier), ajoute l'association dans un communiqué.

© 2011 AFP
source libé