samedi 10 septembre 2011

Le respect des droits a régressé aux Etats-Unis

Le respect des droits a régressé aux Etats-Unis
Point de vue | | 09.09.11 | 13h57 • Mis à jour le 09.09.11 | 14h37
Lorsque les terroristes frappèrent les tours du World Trade Center, je regardais ce terrible spectacle de la fenêtre de l'école maternelle de mon fils, de l'autre coté de la rivière, à Brooklyn. Directeur à Human Rights Watch, j'ai l'habitude d'intervenir en faveur des victimes dans les coins les plus martyrisés de la planète, mais en l'espace de quelques heures mon ordinateur était plein de courriels de soutien et de préoccupation des amis du Rwanda et de Bosnie, de Sierra Leone ou encore du Tchad et d'Haïti.
Après le 11-Septembre, l'écrivain chilien Ariel Dorfman déclara : "Les Américains doivent maintenant éprouver ce que nous autres avons connu." Il nous rappelait ainsi que le 11-Septembre était aussi l'anniversaire en 1973 d'un coup d'Etat au Chili - soutenu par le gouvernement américain et qui, comme "notre" 11-Septembre, causa la mort de 3 000 personnes. Regardant ces familles errer dans les rues de New York et serrer les photos de leurs proches en se demandant s'ils étaient vivants ou morts, je pensais aussi aux familles des desaparecidos en Amérique latine, victimes eux aussi des régimes appuyés par les Etats-Unis. Ces liens de souffrance pouvaient appeler à une politique de renforcement de notre humanité commune, une politique à bâtir des ponts, et à s'attaquer aux racines de l'intolérance et de la haine.

Mais les dirigeants américains ont choisi la confrontation : deux guerres conventionnelles et une "guerre contre le terrorisme" caractérisée par l'humiliation des prisonniers musulmans. L'administration Bush, appuyée par une grande partie de l'opinion publique et même par de nombreux intellectuels, a décidé que cette lutte antiterroriste exigeait une politique implacable qui ne saurait être restreinte par les délicatesses du droit international ; que cette "guerre" rendait "obsolètes" les restrictions juridiques posées par les conventions de Genève sur le traitement et l'interrogatoire des détenus.

Le 17 septembre 2001, le président George W. Bush a autorisé le programme de détention secrète de la CIA, qui organisait la disparition forcée d'individus dans des lieux d'où ils ne pouvaient communiquer avec l'extérieur, durant de longues périodes. Le président Bush a approuvé le waterboarding ("supplice de la baignoire") de deux prisonniers, responsables présumés d'Al-Qaida, Khaled Cheikh Mohammed et Abou Zoubaydah, qui ont subi ce simulacre de noyade respectivement à 183 et à 83 reprises.

George W. Bush a aussi donné son blanc-seing au programme de rendition ("sous-traitance") de la CIA qui envoyait des personnes soupçonnées d'appartenir à Al-Qaida vers des pays connus pour pratiquer la torture comme l'Egypte et la Syrie, afin de leur soutirer des informations. La semaine dernière, Human Rights Watch a découvert à Tripoli des documents qui montrent que la CIA a livré des présumés djihadistes - y compris l'un des chefs de la nouvelle Libye - au régime du colonel Kadhafi en suggérant les questions que ses services secrets devaient leur poser.

Au lieu de faire avancer la guerre contre le terrorisme, il paraît évident que le recours à des méthodes barbares contre des prisonniers musulmans a été une manne pour Al-Qaida et ses alliés. Guantanamo et Abou Ghraib sont devenus les symboles des Etats-Unis pour le monde musulman. Joseph R. Biden Jr., avant qu'il ne devienne vice-président de Barack Obama, disait que Guantanamo était devenu "le meilleur outil de propagande qui existe pour recruter des terroristes dans le monde". Selon un militaire du Pentagone qui questionna des djihadistes arrêtés, la torture a été l'une des motivations qui les ont amenés à rejoindre la lutte armée contre les Etats-Unis.

Le président Obama a pris des mesures importantes en faveur d'un changement de cap lorsque, dès sa prise de pouvoir en janvier 2009, il a aboli les prisons secrètes de la CIA et interdit le recours à la torture. Mais d'autres mesures attendent, comme celles consistant à mettre fin à la pratique de la détention à durée indéterminée et sans procès, à octroyer une réparation aux victimes de torture et à fermer la prison de Guantanamo.

Plus fondamentalement, la crédibilité indispensable du gouvernement américain en tant que défenseur des droits humains est mise à mal par les révélations de torture contre des prisonniers, et continue de l'être par l'impunité totale des décideurs politiques - et en premier lieu George W. Bush - impliqués dans des infractions criminelles.

Si les attentes nées dans le monde arabe après le discours de Barack Obama au Caire ont été dégonflées par le manque de changement réel dans la politique américaine, la mort d'Oussama Ben Laden et surtout les révolutions en Afrique du Nord et au Moyen-Orient permettent une redéfinition des relations avec le monde arabe. Pour les Etats-Unis, et pour le monde occidental en général, octroyer des réparations pour les mauvais traitements des prisonniers musulmans et traduire en justice ceux qui les ont autorisés pourraient faire partie d'une politique de réconciliation à l'échelle globale.
source le monde