mardi 16 août 2011

Sans-papiers : à Bordeaux, le préfet ignore toujours la justice

Sans-papiers : à Bordeaux, le préfet ignore toujours la justice
Le 5 août, la préfecture de Bordeaux reconnaissait « un dysfonctionnement » après avoir violé une décision de justice en maintenant en détention un Indien qui devait être remis en liberté. Un argument désormais difficilement recevable alors que le 11 août, deux Soudanais convoqués devant le juge ont cette fois été expulsés avant leur audience, pourtant prévue le jour-même.

Caroline Baret, représentante du l'Union syndicale de la magistrature (USM) à Bordeaux, assure « qu'on atteint des sommets d'incohérence ». Dans un communiqué, le syndicat exprime son courroux :

« L'USM ne peut que s'inquiéter de ces violations réitérées du principe de séparation des pouvoirs, et du non respect des règles de droit, dans le plus total mépris de la justice. »

Jamais, affirme la magistrate, elle n'a vu pareille violation à Bordeaux.

Le 9 août, deux Soudanais qui arrivaient d'Italie ont été contrôlés par la police. Incapables de présenter des papiers en règle, ils ont été placés en garde à vue puis transférés au centre de rétention (CRA) de Bordeaux.
Reconduits en Italie au petit matin… le jour de l'audience

Laura Petersell, employée de la Cimade, association qui intervient dans les CRA, précise que le juge des libertés et de la détention (JLD) a convoqué les deux Soudanais le 11 août. Mais au petit matin, à 5 heures, la préfecture a dépêché une voiture et les a reconduits illico presto à la frontière italienne.

Pour Ivan Guitz, délégué syndical du Syndicat de la magistrature (SM), « la préfecture de Bordeaux semble tester tous les moyens pour empêcher le juge de faire son travail. »

Depuis l'entrée en application de la loi Besson, le JLD, qui décide de la remise en liberté ou du maintien en détention des détenus, n'a la possibilité d'être saisi qu'au bout de cinq jours. Le délai était auparavant de 48 heures.

C'est l'argument que donne Patrick Stefanini, préfet de Gironde contacté par Rue89, pour justifier la décision prise de ne pas attendre l'audience :

« Pendant les cinq premiers jours, la loi réserve au juge administratif l'examen de la procédure d'éloignement [comprendre expulsion, ndlr]. Lorsqu'ils sont bien renseignés, c'est ce que les étrangers ou leurs avocats font. »

« Le juge a même renoncé à tenir son audience »

Selon lui, rien de plus normal, la juge a même « renoncé à tenir son audience ».

L'argument fait bondir Ivan Guitz :

« Il n'avait plus aucune raison de statuer donc il y a eu un non-lieu, mais cela ne veut pas dire que la juge approuve, elle était d'ailleurs choquée du procédé. »

Le magistrat précise que comme dans le cas de l'Indien, le JLD a été saisi car les deux Soudanais avaient été placés illégalement en garde à vue : depuis un arrêt rendu en avril par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), garder à vue un individu pour le seul motif qu'il n'a pas de papiers en règle n'est plus légal. Ivan Guitz ajoute :

« La loi permet la saisine du JLD dans ce cas. Le juge des libertés n'est pas nommé comme tel par hasard, il doit vérifier les conditions de privations de liberté des individus. »

Il ajoute que le juge administratif n'est pas autorisé à se prononcer sur la légalité ou non des gardes à vue.
Une préfecture « qui veut faire du chiffre » ?

Patrick Stefanini ne porte guère d'importance à cet argument : selon lui, placer en garde à vue des personnes qui n'ont pas de papiers en règle n'est absolument pas illégal :

« Il s'agit d'une directive européenne, tant que la Cour de cassation ne s'est pas prononcée, nous continuerons à nous servir de cette procédure. »

Bien préparé, il cite des décisions rendues par le tribunal de Pau qui a refusé à trois reprises de considérer comme illégale la garde à vue d'étrangers sans-papiers. Peu importe selon lui que d'autres cours d'appel aient pris des décisions inverses.

Dans un communiqué interassociatif, la Cimade, le syndicat des avocat de France et le SM estiment que « la préfecture “fait du chiffre” au mépris des règles de droit, au mépris des décisions de la Cour de justice de l'Union européenne, au mépris des arrêts de Cour d'appel de Bordeaux qui a ordonné la levée de la rétention administrative d'étrangers placés en garde à vue au seul motif de leur séjour irrégulier ».
Préfet le 1er juin, il inaugure le CRA dès le lendemain

En conduisant les deux Soudanais à la frontière italienne, la préfecture s'assure ainsi que leur expulsion soit comptabilisée.

Laura Petersell pense que l'arrivée de Patrick Stefanini à la tête de la préfecture de Gironde n'est pas étrangère à ces bévues. Elle précise :

« Il a pris ses fonctions le 1er juin et a inauguré le CRA le lendemain, alors qu'il n'a ouvert ses portes que le 18. Ça a été son premier geste en tant que préfet. »

Depuis, des interpellations de sans-papiers en préfecture, alors qu'ils étaient venus déposer leur demande de titre de séjour, sont effectuées. « Ça n'était jamais le cas auparavant. »
Stefanini, cerveau de la politique d'immigration sarkozienne

Patrick Stefanini refuse de commenter la politique de Claude Guéant, qui a récemment fait monter les enchères sur le nombre d'expulsions – fixées à 30 000 – en 2011. Il se considère « comme un simple fonctionnaire, qui applique les décisions prises par le gouvernement ». Et préfère discuter de décisions de justice, ce qui n'est pourtant pas de son ressort.

Pourtant, le préfet de Gironde n'a pas fait qu'appliquer : comme le précise Mediapart, il a pris en 2005 la tête du conseil interministériel de contrôle de l'immigration. Deux ans plus tard, il a également assuré la formation du nouveau ministre de l'Immigration Brice Hortefeux.

Patrick Stefanini – par ailleurs condamné à dix mois de prison avec sursis dans l'affaire des emplois fictifs de la ville de Paris – est considéré comme le penseur de la politique migratoire de Nicolas Sarkozy.
source rue89