mercredi 20 juillet 2011

La Tunisie redoute un été explosif avant les élections

19 juillet 2011
La Tunisie redoute un été explosif avant les élections

La Casbah,

Après la dispersion brutale d'un nouveau sit-in, peu suivi, à la Casbah de Tunis, vendredi 15 juillet, la contestation contre le gouvernement de transition a pris un tour violent, faisant craindre un été explosif en Tunisie. "La Casbah était complètement assiégée et des bus jaunes longeaient les rues et étaient remplis à craquer par les policiers des Brigades de l'ordre public", témoigne Khaoula Zoghlami, sur le site collaboratif Nawaat. "Coups de matraque, insultes et bombes lacrymogènes" ont fusé, s'indigne Zohra Abid, dans le journal électronique Kapitalis. Des dizaines de personnes -dont Ghassen Zouari publie la liste- ont été arrêtées et agressées, parmi lesquels des journalistes couvrant le sit-in.

Ces événements ont conduit à une nouvelle flambée de violence en Tunisie. Samedi, six policiers ont été blessés à Menzel Bourguiba, une ville au nord de Tunis, dans l'attaque d'un poste de police. A Sidi Bouzid, ville emblématique de la révolution tunisienne, des jeunes sont descendus, dimanche, dans les rues pour protester contre la répression à la Casbah, rapporte Smari Farouk sur le blog Sidi Bouzid 17. Dans la nuit de dimanche à lundi, ils se sont opposés à l'armée, qui a tenté de les disperser par des tirs à balles réelles. Thabet Belkacem, un garçon de 14 ans, a été tué, deux autres ont été blessés et neuf personnes ont été arrêtées. Selon le ministère de l'intérieur, l'adolescent aurait été atteint par une balle, qui aurait ricoché lors de tirs de sommations des forces de l'ordre.

Une vidéo des événements de Menzel Bourguiba, le 17 juillet 2011.

Malgré un retour au calme, la situation dans le pays reste tendue. A Sidi Bouzid, Smari Farouk parle d'un "état de panique au sein de la population". "La ville est sous le choc. On n'avait pas vu une telle violence depuis la révolution", a déclaré un responsable associatif de la ville. Un couvre-feu a été décrété dans le gouvernorat, entre 22h et 5h du matin, rapporte la page Facebook du groupe Tunisie.

Un reportage de BFMTV diffusé le 19 juillet sur les violences à Sidi Bouzid.

UNE TENTATIVE DE DÉSTABILISATION

L'adresse à la nation, lundi 18 juillet, du premier ministre tunisien, Béji Caïd Essebsi, n'a pas apaisé la rue qui appelait à nouveau, depuis vendredi, à sa démission. M. Caïd Essebsi a implicitement évoqué une tentative de déstabilisation dans le pays, relevant "une concomitance étrange" entre le sit-in de la Casbah et les troubles dans plusieurs villes du pays. "Ceux qui ont volé des armes veulent renverser le régime", a-t-il ajouté, en référence aux armes et munitions dérobées lors de l'attaque du poste de police à Menzel Bourguiba.

Une concomitance logique, estime au contraire Foued Frini sur le site collaboratif Nawaat. A l'appel de la Casbah 3, "la réponse du pouvoir a été la bastonnade, le gazage et la répression tous azimuts [...]. Or, cette répression s’est déclenchée automatiquement, dès les premières heures du sit-in, sans qu’il n’y ait eu à aucun moment recours à des négociations sérieuses [...]. Toute action appelant une réaction, et la violence engendrant la violence, ce qui s’en suivit le soir même est du déjà vu, et certains n’attendent que ce genre d’occasions pour faire bouger leurs pions de l’ombre". Il dénonce ainsi "l’autisme politique, l’irresponsabilité et le cynisme du discours de Beji Caïd Essebsi, qui ne font que mettre encore plus les feux aux poudres, et nous promettent à tous des 'vacances explosives'".

Le discours du premier ministre tunisien Béji Caïd Essebsi, le 18 juillet 2011 (en arabe).

Pour le premier ministre tunisien, les responsables sont tout désignés. "Il y a des troubles pour empêcher la tenue des élections. Ces élections, elles auront lieu bon gré mal gré le 23 octobre comme prévu", a-t-il déclaré. "Il y a des partis politiques et des mouvements marginaux qui ne sont pas prêts pour les élections, car ils sont sûrs de ne pas les remporter", a accusé M. Caïd Essebsi sans les citer, évoquant "certains mouvements extrémistes religieux". Des accusations dans le sens desquelles ont abondé, mardi 19 juillet, deux des principaux partis tunisiens, le Parti démocratique progressiste et le parti Ettajdid, parlant respectivement de "tentatives de déstabilisation" et de "plan méthodique pour ébranler la stabilité" de la Tunisie.

Rached Ghannouchi. Zoubeir Souissi /Reuters

"L'allusion au parti islamiste Ennahdha est lourde, commente le journal Kapitalis, sauf qu’à l’analyse, ce parti, auquel les sondages d’opinion donnent de bons scores à l’élection du 23 octobre, n’a aucun intérêt à retarder cette élection". Et de fait, Ennahda a démenti toute implication dans ces violences, lors d'une conférence de presse, mardi 19 juillet (en vidéo en arabe). "Nous n'essayons pas de déstabiliser ou de faire tomber le gouvernement provisoire", a martelé son président, Rached Ghannouchi, assurant soutenir le processus électoral.

Pour Foued Frini, ces accusations sont infondées. "Il continue à accuser et à cibler les mêmes partis, tout en tirant un trait sur la mutinerie simultanée des prisons, le financement des casseurs par les ex-RCDistes et les acolytes de la mafia des familles et financière, les snipers etc… Sans se soucier le moins du monde de ceux qui orchestrent toute cette déstabilisation, tapis dans l’ombre et à l’affut de la moindre occasion", critique-t-il. Et de conclure : "L’irresponsabilité, à trois mois des élections, c’est de ne pas désigner ni poursuivre les vrais responsables de ces actes graves, qui sont derrière l’insécurité dans laquelle vivent pratiquement la majorité des Tunisiens, et qui continuent à sévir et à tirer les ficelles".

Ce regain de violences ne fait qu'accroître des inquiétudes déjà vives quant au bon déroulement de la transition démocratique. "La Tunisie se divise. Les lignes de démarcations, politiques, sociales et économiques se creusent. Le consensus implicite qui réunissait tous les Tunisiens contre le régime de Ben Ali, ses turpitudes et sa pourriture, se dilue et le doute s’installe", s'inquiète Ferid Belhaj, dans une tribune sur Kapitalis. Y voyant les "signes menaçants de la détérioration de la situation dans le pays", il appelle les Tunisiens à la responsabilité. Or, le retour à la stabilité ne se fera qu'avec "un gouvernement solide, légitime et stable". Ce qui justifie, selon M. belhadj, que le peuple puisse s'exprimer, le 23 octobre, par voie référendaire sur le maintien du gouvernement de transition actuel jusqu'à la tenue des élections législatives et présidentielle.
source le monde