vendredi 29 juillet 2011

Je suis soulagé que le tueur soit norvégien et non étranger

Je suis soulagé que le tueur soit norvégien et non étranger »

Des Norvégiens se recueillent en mémoire des victimes de l'attentat et de la fusillade, à Oslo le 23 juillet 2011 (Wolfgang Rattay/Reuters).

Rue89 a sollicité ses riverains pour témoigner de l'ambiance en Norvège après l'attentat d'Oslo et la fusillade d'Utoya qui ont fait plus de 70 morts vendredi. Parmi ceux qui nous ont répondu, Rouxel, chercheur scientifique. S'il pense « ne pas être le mieux placé » – il vit à Oslo depuis un an et demi, et précise ne connaître de la Norvège que sa capitale –, il nous a fait parvenir cet intéressant témoignage.

Je ne suis pas sorti pour le constater, mais j'imagine que les Norvégiens ont la gueule de bois.

Il faudra attendre sans doute quelques jours pour savoir comment ces attentats sont profondément perçus, et quelques semaines pour savoir en quoi ils vont modifier la perception des Norvégiens au quotidien. Ils vont certainement s'interroger sur eux-mêmes, surtout sur leur rapport à la violence qui jusqu'à présent était on ne peut plus distancié. Facile à Oslo, d'ordinaire une ville sûre et incroyablement calme.

Une chose qu'il est utile de noter, c'est la couverture médiatique des attaques. Il me semble que la presse anglo-saxonne a insisté sur les attaques à la bombe, car elles ont une portée symbolique (le quartier des ministères) et visuelle (les photos) très forte.
A Oslo : une zone quadrillée de caméras

Contrairement à ce que j'ai pu lire, la rue (Grubbegata) où a eu lieu l'explosion n'est pas du tout fréquentée car il n'y a aucun commerce ici, tandis que la rue attenante où est le siège de VG [Verdens Gang, tabloïd quotidien norvégien, ndlr] l'est beaucoup plus – mais, à partir du niveau des bâtiments ministériels, on ne peut pas s'y garer. Cela a certainement, et heureusement, limité le nombre de victimes. Je le sais pour avoir habité un an à 500 mètres (Mollergata).

Au vu des dégâts, il est certain que si la voiture piégée avait été garée plus près de la gare centrale (et vers 15 heures en été, ce n'est pas trop difficile), il y aurait eu des victimes par dizaines.

Sur le moment, je me suis dit que l'enquête policière serait facilitée : en effet, la zone est complètement quadrillée de caméras. J'aurais aimé que le fou furieux puisse être arrêté par la suite dans d'autres circonstances…
Utoya : attaquer la jeunesse, bien plus ignoble qu'attaquer l'Etat

En Norvège, ce qui choque le plus, c'est la fusillade, non seulement à cause du nombre de victimes [68 selon un dernier bilan, ndlr] mais surtout parce qu'elle a visé des jeunes, souvent âgés de 16 ans.

Les jeunes sont perçus comme l'avenir du pays, il n'y a aucune stigmatisation à leur encontre, bien au contraire. L'éducation est une priorité politique. Le système éducatif ici insiste sur l'importance de protéger les enfants, il n'est pas envisageable de recourir à l'autorité et le système français – en particulier les redoublements – est perçu comme épouvantablement cruel.

Tout cela souligne l'importance de la jeunesse en Norvège et vous pouvez donc imaginer l'étendue du choc qui découle de cette tuerie. Pour un Norvégien, l'attaque contre la jeunesse est symboliquement, bien plus ignoble que l'attaque contre l'Etat.
Les rapports de force politiques, bouleversés à court terme

En tout cas, le fait que le tueur soit un ancien membre du Parti du progrès (entre autres engagements pour le moins insolites) et ait explicitement visé le Parti travailliste [les jeunes d'Utoya participaeint à son camp d'été, ndlr] va sans doute profondément modifier les rapports de force politiques à court terme en Norvège, et faire débat autour des milieux populistes en Europe.

Je pense qu'une législation sévère sur la possession d'armes va vite être mise en place ici, car j'ai lu que le système était jusqu'à présent assez laxiste.
En Norvège, un racisme latent, inconscient mais généralisé

Personnellement, je suis soulagé que le tueur soit un norvégien et non pas un étranger. Il y a un ici racisme latent, souvent inconscient, mais généralisé, que j'ai détaillé dans les commentaires de l'article.

L'islamophobie, se basant sur des considérations socioculturelles, est très répandue, la presse tabloïd (d'un meilleur niveau qu'en Grande-Bretagne, mais de caniveau pour les standards français) utilise chaque fait-divers lié à un musulman comme argument de vente.

Toutefois, ces stéréotypes ne produisent pas un comportement violent ou agressif, on garde une attitude citoyenne et les principes égalitaristes en font partie. Le discours très digne du Premier ministre après les attentats (sur le mode : qui que vous soyez, vous ne nous changerez pas) est révélateur à ce niveau.

Si les attentats avaient eu une origine islamiste confirmée, je crains qu'un seuil aurait été franchi, qu'un verrou aurait sauté, d'abord dans la presse, puis avec les politiques… comme en France avec le débat sur l'identité nationale, boîte de Pandore ouverte par des inconscients.

► Mis à jour le 25/07/2011 à 18 heures. Correction du bilan des victimes (76 contre 92).
source rue89