jeudi 23 juin 2011

Mauvais départ pour les procès contre Ben Ali

Mauvais départ pour les procès contre Ben Ali
La révolution a ses raisons que la raison ne connaît pas. Le verdict prononcé, lundi 20 juin, par le tribunal de première instance de Tunis à l'encontre des époux Ben Ali montre, une fois de plus, que justice et révolution font rarement bon ménage.

A l'issue d'une seule journée de procès, l'ancien président tunisien et son épouse ont été condamnés, par contumace, puisqu'ils séjournent en Arabie saoudite, à 35 ans d'emprisonnement chacun et à une amende de 91 millions de dinars (46 millions d'euros) pour vol et possession illégale de devises étrangères et de bijoux. M. Ben Ali est également poursuivi pour possession illégale de drogue, d'armes et d'objets archéologiques. Pour ces trois chefs d'accusation, un second verdict sera rendu le 30 juin. Devises, bijoux, armes et stupéfiants ont été saisis dans leur résidence et leur palais, après la fuite du couple présidentiel, le 14 janvier.

Aucun traité d'extradition ne liant Riyad et Tunis, on peut imaginer sans peine que Zine Ben Ali, 74 ans, et sa femme finiront tranquillement leurs jours dans leur cage dorée d'Arabie saoudite. Cette impunité exaspère sans doute les Tunisiens, qui, après l'euphorie du renversement du dictateur sous la pression populaire il y a cinq mois, affrontent aujourd'hui la dure réalité : le tourisme en crise, les débordements de la guerre en Libye voisine, l'afflux de réfugiés, l'Europe qui ferme ses portes, un Etat de droit et une Tunisie nouvelle à construire.

La parole s'est libérée, la peur a disparu, mais l'ossature du système Ben Ali est encore là, incarnée par toute une classe d'apparatchiks qui n'ont aucune envie d'abandonner postes et privilèges. L'appareil judiciaire lui-même, qui juge aujourd'hui Ben Ali, n'a pas été renouvelé. Il y a de quoi nourrir impatience et frustrations. C'est aussi à ce souci, sans doute, que souhaitaient répondre les dirigeants de la transition tunisienne en organisant ce procès.

Il est à craindre, malheureusement, que cette tentative de catharsis ne réussisse pas. Ce procès ne trompe personne, ni en Tunisie ni ailleurs. Sans doute, comme l'a proclamé le procureur, les époux Ben Ali "n'ont-ils pas cessé de voler pendant vingt-trois ans". Mais que dire des violations des droits de l'homme, des centaines de morts de la révolution ? C'est la justice militaire qui en décidera, à une date ultérieure et dans des conditions que l'on souhaite plus sérieuses.

Il n'y a guère de solution magique pour juger les dictateurs déchus. Les anciens "pays frères" de l'URSS se sont tous débattus avec cette question. La Roumanie a fusillé le couple Ceausescu aussitôt après l'avoir renversé, à l'issue d'un procès aussi rapide que grotesque. Les Polonais ont choisi, eux, en 1989, de ne pas poursuivre leurs anciens maîtres, mais le temps a fini par les rattraper : le général Jaruzelski, aujourd'hui âgé de 88 ans, affronte depuis 2006 un interminable procès pour "crimes communistes". Il faut espérer que le procès de l'ex-président égyptien Hosni Moubarak, qui doit s'ouvrir le 3 août, sera plus respectueux de l'esprit de justice et de celui de la loi.
source le monde