jeudi 23 juin 2011

L’école au secours d’une famille sans logement

L’école au secours d’une famille sans logement

Il y a parfois des histoires qui s'invitent dans ce blog sans prévenir. Nous nous trouvions samedi matin à l'école Paul-Langevin pour suivre le déroulé de la consultation sur la police municipale. L'établissement est un des bureaux de vote du quartier. Voilà qu'arrivent les instituteurs de retour de la fête de l'école qui a eu lieu dans un gymnase voisin. Nous voulions parler éducation, mais un autre sujet accapare leur attention. "Une famille de l'école est en grande difficulté. Ils n'ont plus de logement. Nous avons même dû accueillir les enfants chez nous ! Le conseil d'école s'est cotisé pour leur payer une semaine d'hôtel mais samedi, ils seront de nouveau à la rue" racontent-ils tous en même temps, comme pressés par l'échéance.

Lundi, à 16 h 30, nous revoilà à l'école. Entourée de la directrice et de trois enseignants, la maman nous attend.

Âgée de 29 ans, Makoni a deux enfants scolarisés à Paul-Langevin, en CM1. Elle habitait la rue d'à côté. Jusqu'au dimanche de Pâques. Ce jour-là, elle a décidé de partir. Cela faisait plusieurs années que son compagnon la maltraitait. Elle avait déjà déposé plusieurs mains courantes au commissariat après avoir reçu des coups. "Il me menaçait tout le temps. Mais le bail était à son nom. Quand tu ne sais pas où aller, tu acceptes tout ce qui se passe à la maison..., reconnaît-elle. Et puis j'ai fini par craquer." Une violente dispute le week-end de Pâques lui donne le courage de sauter le pas. Ce dimanche-là, sa fille est chez une amie. Elle quitte le domicile dans la soirée avec son fils, direction le commissariat. "Ils m'ont dit qu'ils ne pouvaient pas faire grand-chose pour moi. Ils ont appelé le 115 [numéro d'appel du samu social] mais il n'y avait pas de place. J'étais mal, oppressée. Nous avons fini par dormir sur un banc, dans le commissariat".

Le calvaire commence le lendemain. "Je n'avais nulle part où aller. On s'est assis à l'arrêt du tram à "Hôtel de ville". Il faisait froid..." Elle parle vite mais avec le souffle court, signe de son anxiété. "Je suis allée voir les services sociaux. Un assistant social a téléphoné au 115 et ils m'ont trouvé une place dans un hôtel à Sevran (93). Au bout de cinq jours, on m'a demandé de quitter l'hôtel. J'ai rappelé le 115, et ils m'ont renvoyé là. Et cela a duré un mois comme ça. Puis, ils m'ont expliqué que je ne pouvais plus rester."

"ON A FINI PAR DORMIR DANS LES ESCALIERS DE LA TOUR"

Elle et ses deux enfants seront ensuite envoyés dans un hôtel de Seine-et-Marne, à Dammartin-en-Goële. "À peu près quarante minutes de train depuis Gare du nord, puis vingt-cinq minutes de marche avec les enfants pour rejoindre l'hôtel de la zone industrielle. Ces hôtels-là ne sont jamais en centre-ville..." Un trajet qu'il lui faut faire deux fois par jour : car tous les matins, les enfants sont présents à l'heure à l'école Paul-Langevin. "Et toujours impeccables", précisent les enseignants. Il y aura ensuite quelques nuits dans un hôtel à Montreuil (93) puis quelques nuits à Chilly-Mazarin (91)... Drôle de façon de visiter l'Ile-de-France.

Tous les jours, la démarche est la même : appeler le 115 à partir de 17 heures et attendre qu'on lui dise où il reste de la place. "C'est très compliqué car comme je dépends du département 93, il faut que je me trouve physiquement en Seine-Saint-Denis pour téléphoner, sinon je tombe sur le service d'accueil de Paris, et ils ne peuvent pas prendre en charge ma demande." Difficile de travailler de 8h45 à 19 h 30 dans le dix-septième arrondissement de Paris dans ces conditions. "Je ne peux pas continuer à garder des enfants si mon attention est ailleurs, à téléphoner au 115... Mes employeurs ont compris ma situation. J'avais proposé qu'ils me licencient à l'amiable, mais ils m'ont dit que je pourrais revenir travailler dès que ma situation sera stabilisée." Elle ne s'attarde pas sur l'état de ce type de chambres : des draps pas toujours changés, des sanitaires repoussants, et l'impossibilité de cuisiner ou de garder un peu de nourriture au frigo. "Je dépense beaucoup plus, presque 500 euros dans le mois juste pour manger, car il faut tout acheter tout fait, et en petite quantité."

Et puis le mardi 14 juin, le 115 lui répond "pas de place". Du tout. Nulle part en Ile-de-France. "Je n'avais aucune option. Alors on a fini par dormir dans les escaliers de la Tour."

L'école est au courant d'une situation difficile. Le mercredi, quand la directrice Françoise Tirante croise la maman dans la rue, elle prend logiquement des nouvelles. "Devant l'urgence, on a commencé à en parler avec quelques collègues. Et puis très vite l'une d'entre nous à proposer d'héberger les enfants chez elle, raconte-t-elle. J'en ai parlé à la maman puis aux enfants qui ont dit 'd'accord' dans un grand sourire." Elle réunit ensuite le conseil d'école.

"C'EST INTOLÉRABLE DE VOIR DES ENFANTS PERDRE LEUR SOURIRE"

"Ça nous paraît intolérable de laisser des enfants à la rue. Ça nous paraît intolérable de voir des enfants perdre leur sourire. On les voyait tous les matins, fatigués d'être trimballés à gauche et à droite. Ils n'en pouvaient plus", s'indigne Maïté Gallois, l'institutrice du garçon. "On voulait qu'ils puissent se poser un peu. Devant l'urgence, on a décidé de se cotiser pour leur payer une semaine d'hôtel. Mais dans le coin tout est plein à cause du salon de l'aviation au Bourget. On a fini par trouver à Bondy", raconte la directrice.

"Quand ils m'ont proposé ça, j'ai poussé un cri, confie Makoni, émue. Je ne sais pas quoi dire, c'est tellement énorme ce qu'ils ont fait pour nous. Même dans mon entourage, personne n'a fait ça pour moi."

Loger des familles n'est pas tellement dans les missions de base du corps enseignant. "Celui qui veut se contenter de son rôle d'enseignant ne doit pas venir travailler ici. On passe notre temps à essayer de résoudre des difficultés, à faire face à la précarité de nombreuses familles qui ont du mal à boucler les fins de mois", explique Françoise Tirante. Travaillant dans les écoles de La Courneuve depuis 1977, elle n'avait pourtant jamais connu une situation pareille. "Heureusement, la maman a osé nous en parler. Par fierté, beaucoup se taisent dans ces cas-là" précise-t-elle.

"DANS DIX JOURS L'ÉCOLE S'ARRÊTE, QUI VA PRENDRE LE RELAIS ?

Les enseignants pestent quand même contre les hôteliers pour qui ces familles sont une bonne aubaine. "Avant, une chambre à l'hôtel du centre-ville coûtait 39 euros la nuit. Maintenant, l'hôtelier ne prend plus que des personnes envoyées par le 115 et facture la nuit 80 euros", détaille Françoise Tirante. "Ils profitent de la misère, et pendant ce temps-là, le Samu social se retrouve à payer 2 400 euros par mois, soit deux à trois fois le prix d'un loyer dans le privé, pour des chambres mal entretenues", s'indigne Eric Bracke, un autre enseignant.

Cette semaine d'hôtel payée par les instituteurs s'arrête samedi. Makoni multiplie les démarches. Elle rencontre régulièrement son assistante sociale, qui ne trouve pas de solution. La ville a promis d'examiner avec bienveillance sa demande de logement social. Elle sait cependant que la liste est longue. 2 000 demandes pour 60 logements libérés en 2010 nous disaient la première adjointe récemment. Les trois appartements-relais disponibles pour accueillir les femmes battues sont occupés. Selon plusieurs associations de défense des droits des femmes de La Courneuve, le nombre de femmes victimes de violences conjugales qui se retrouvent à la rue ne cesse ainsi d'augmenter, faute de place d'hébergement. Le maire a indiqué lundi avoir alerté sur cette question le préfet de région et la ministre des solidarités et de la cohésion sociale.

Mais quand Makoni travaille, elle gagne entre 1 400 euros et 1 600 euros nets. Plus que le Smic. Cela devrait pouvoir lui permettre de louer dans le privé. "Mais ils demandent de gagner trois fois le loyer, et des justificatifs du domicile précédent, et je n'en ai pas", se lamente Makoni. Elle confie avoir pleuré devant ses enfants. Une fois. "Je voulais payer un hôtel moi-même, j'avais de l'argent. Mais quand le monsieur m'a dit qu'il n'y avait pas de place, je me suis effondrée. J'ai demandé à m'asseoir, j'ai pleuré un bon coup et puis je me suis reprise. 'T'as deux enfants, tu te bouges' je me suis dit. Et je suis repartie. Mais c'est très dur."

"L'été arrive. Dans dix jours, l'école est finie. Il y a urgence à trouver une solution car nous ne serons bientôt plus là pour faire le lien, s'inquiète Maïté Gallois. Si personne ne prend le relais, on ne sait pas ce qui va se passer." La directrice de l'école a cependant déjà entamé des démarches pour que les deux enfants puissent partir en vacances avec la ville. "Pour que pendant quelques semaines, ils soient loin de ces problèmes. Qu'ils soient des enfants normaux, insouciants." Ce n'est pas qu'une considération géographique de préciser qu'ici, l'école est au cœur du quartier.
source le monde