dimanche 12 juin 2011

Fini les Trabelsi, l’avocate devient madone des migrants

Fini les Trabelsi, l’avocate devient madone des migrants
Virage . Samia Maktouf, ex-proche de la belle-famille du président déchu tunisien, se démène désormais pour la cause des sans-papiers tunisiens.
Un immeuble cossu de l’avenue des Champs-Elysées. Un hall d’entrée au luxe clinquant. Dans le coin salon installé à côté de la réception, des jeunes gens au look pas très raccord avec l’ostentation des lieux. Depuis plusieurs semaines, le cabinet d’avocat de Samia Maktouf est devenu le point de rendez-vous des sans-papiers tunisiens.

Jeans, tee-shirt gris, visage creusé, Mohammed est l’un d’eux. Alors qu’il écoutait Radio Orient sur son téléphone portable, il a entendu Samia Maktouf vitupérer contre le traitement réservé par la France à ces migrants. Arrivé en Europe après avoir quitté la Tunisie en bateau et s’être échoué sur les côtes de l’île de Lampedusa, ce jeune homme dort aujourd’hui dans un square près de la porte de la Villette à Paris. Un groupe de SDF algériens l’a pris en amitié, raconte Samia Maktouf. Elle-même s’est imposée comme la porte-parole autoproclamée des sans-papiers tunisiens.

Le dimanche 24 avril, cette avocate débarquait en grande pompe, épaulée par des amis, dans le petit square où survit Mohammed. Prêt-à-porter de marque, coiffure impeccable,boucles d’oreilles scintillantes et maroquinerie parisienne à l’épaule, l’avocate avait les bras chargés de cadeaux pour ses «enfants» : nourriture, savon, shampooing, slips, chaussettes, chaussures, et même du gel pour les cheveux.

Hôpital. Seule femme sur le terrain, Samia Maktouf harangue ses troupes, organise la distribution et la prise en charge des jeunes les plus mal en point. Un ami tunisien - cuir et grosse berline - en embarque trois à l’hôpital pour des poussées de fièvre et un inquiétant souffle au cœur. Egalement présent ce jour-là dans ce square du XIXe, Miladi Mouldi. Costard gris et pompes cirées, cet «homme d’affaires» entend faire valoir sa part de gloire dans le «sauvetage de ses frères». Il insiste pour que son nom soit cité dans le journal, afin que «tout le monde sache que les jeunes de Zarzis [ville littorale du sud-est de la Tunisie, ndlr] que tu vois ici, tout ce qu’ils ont sur eux, les jeans, tee-shirts, la bouffe, tout ça c’est moi qui paye !» Joignant le geste à la parole, il tire une carte bleue de l’intérieur de sa veste. «Pour l’instant, elle passe, donc je dépense tout ce que j’ai pour eux. Mais demain, inch’Allah, peut-être que la banque va me dire "c’est fini". Et eux, qu’est-ce qu’ils vont devenir sans moi ?»

Samia Maktouf s’agace : «Ça n’est pas une compétition à qui aidera le mieux ou à qui dépensera le plus, il ne semble pas l’avoir compris, ce Monsieur.» Et d’ajouter, perfide : «Miladi Mouldi est connu au pays, son association à Paris était soutenue par le clan Ben Ali. Alors forcément, depuis la révolution du jasmin, il fait tout ce qu’il peut pour se racheter une conduite.» L’homme d’affaires rétorque : «Je n’ai plus d’argent, je suis endetté jusqu’au cou. Si j’étais un proche du clan Ben Ali, vous pensez sincèrement que je serais endetté ?»

Rôle actif. Comme certains Franco-Tunisiens, Samia Maktouf essaie-t-elle de se racheter une virginité ? Dans le passé, cette avocate était surtout connue pour sa proximité avec les Trabelsi, la belle-famille du président déchu Ben Ali. Avocate (bien) installée en France (son cabinet, Dubreuil et Maktouf est sur les Champs ; elle-même réside rue de Longchamp, à Neuilly), Samia Maktouf a joué un rôle actif entre Paris et Tunis au temps où officiait l’ancien ambassadeur de France, Serge Degallaix, en poste de septembre 2005 à septembre 2009.

Elle a notamment débarqué à la réception organisée à l’ambassade, un 14 juillet, au bras d’Imed Trabelsi, le neveu de Leïla, la femme de Ben Ali, alors que celui-ci était mis en cause en France pour le vol d’un yacht appartenant au PDG de la banque Lazard. Samia Maktouf a beaucoup contribué à préparer la visite à Tunis de Nicolas Sarkozy, accompagné de plusieurs hommes d’affaires au printemps 2008, en pleine ère Ben Ali. Très proche de Leïla Ben-Ali-Trabelsi, Samia Maktouf lui a présenté le cancérologue français David Khayat afin qu’il parraine son association de lutte contre le cancer, Saïda.

Et quand le livre-enquête de Nicolas Beau et Catherine Graciet, la Régente de Carthage, est paru, c’est Samia Maktouf qui a été chargée de défendre une action en référé, pour faire interdire le livre. «J’ai été sollicitée par les services juridiques de l’ambassade, rétorque-t-elle. Compte tenu des risques encourus, je défie quiconque d’avoir été en mesure de dire non à une telle demande.» Sauf que Leïla Trabelsi ne l’a sans doute pas choisie, parmi tous les cabinets d’avocats parisiens, par hasard.
source libé