mercredi 25 mai 2011

Puerta del Sol, à Madrid : c'est le système qui est anti-nous

Puerta del Sol, à Madrid : c'est le système qui est anti-nous

J'habite à Madrid depuis bientôt trois ans, et bien que j'aime être ici, on ne peut pas dire que vivre ici d'une manière décente soit chose facile. Je me demandais depuis un bon moment COMMENT cela ne pouvait pas exploser, combien de temps les gens pourraient continuer à supporter ce que l'on supporte en Espagne au niveau politique et social. Comment a-t-on attendu aussi longtemps ?

Plus de 40% de chômage des moins de 30 ans, la présence de nombreux politiques inculpés de délits et de fraudes sur les listes électorales, une presse régulièrement bridée et ridiculisée par le pouvoir politique…

Un pays entier qui paie des décennies de mauvaise gestion en coupant du budget sur l'éducation, la santé, les retraites, la fonction publique.

Un pays qui a vécu sur l'économie du « ladrillo » (de la brique) et qui s'est vu terriblement affecté par la crise financière, dont les responsables continuent à générer des millions de bénéfices et sans que personne soit inquiété.

Le pourquoi ? Ce n'est pas tant la manifestation du 15 mai, initiative du collectif « No les votes » – « Ne les vote pas », un rejet du vote utile et du bipartisme espagnol sans réelles propositions qui feraient évoluer la situation de précarité dans laquelle nous nous trouvons –, mais l'expulsion du campement installé à Puerta del Sol dans la nuit de mardi.
Pour aller plus loin
C'est un mouvement citoyen qui a pris par lui-même, et malgré les tentatives de récupération politique, de dénigrement, tant du côté du Partido popular (Parti populaire, PP, droite) comme du côté socialiste (Partido socialista obrero español, PSOE).

La mobilisation générale se veut apolitique, organisée et pacifique. Il suffit de passer par la Puerta del Sol pour le constater : des panneaux « interdisant » l'alcool, la violence ou tout type de conduite qui pourrait nuire à l'image de ce qui est en train de se passer.

Face à cette surprise citoyenne, les autorités ne savent pas comment réagir et accumulent faux-pas sur faux-pas. Entre l'expulsion du campement dans la nuit de mardi et l'interdiction de la manifestation vendredi par la « junta electoral » de Madrid sous prétexte d'une influence sur la liberté de vote des citoyens, la mobilisation n'a pas faibli, bien au contraire.

Elle grandit et nous sommes de plus en plus nombreux chaque soir à nous réunir sur la place de la Puerta del Sol, de plus en plus nombreux à relayer les informations sur les diverses plateformes web, et de plus en plus nombreux à être indignés. Et contrairement à ce qu'affirment les médias, ce ne sont pas juste des jeunes antisystème.
Des pétitions à plus de cinq signatures par seconde

La foule que l'on peut voir rassemblée à Madrid et dans d'autres villes est composée de toute sorte de gens, dont l'espérance, je crois, ne se limite pas aux seules élections car l'on sait d'avance que cela va être un désastre, mais réellement un ras-le-bol généralisé du type de société que l'on nous propose.

Cette spontanéité surprend, elle est rafraichissante, car il faut bien reconnaître que l'Espagne n'est pas particulièrement reconnue pour sa culture contestataire ou son pouvoir de rassemblement citoyen. Il suffit de voir le peu du succès des manifestations auxquelles j'ai participé jusqu'ici.

Si l'on peut critiquer le manque de propositions concrètes, on ne peut que se réjouir, quand on connaît l'Espagne, que ce type de mouvement ait lieu. De fait, l'organisation, le côté pacifique des protestations, l'effort pour inciter à voter hors du bipartisme malgré tout et les informations circulant sur les conséquences du vote blanc ou de l'abstention, les appels au respect et à la prise de conscience citoyenne ont réussi à réunir, pour une fois, de nombreuses générations et opinions différentes.
En direct
Peut-être que la protestation sera une fin en soi, mais c'est déjà ça. A l'heure où j'écris, il suffit de lire Twitter, Facebook, les pétitions collectant plus de cinq signatures par seconde pour voir que quelque chose d'important est train de se passer.

J'espère que tout cela va durer, malgré la sourde oreille politique et plus, que le mouvement va se propager en Europe, en pensant aux voisins portugais, dans la même situation, en Irlande, en Italie, en France. Et j'espère bien sûr, que notre futur pourra changer. En mieux.

Comme on dit ici, nous ne sommes pas antisystème, c'est le système qui est anti-nous.
rue89