mardi 31 mai 2011

L'affaire DSK libère la parole de femmes mais pas les plaintes

L'affaire DSK libère la parole de femmes mais pas les plaintes
C'est parti d'une intuition. L'affaire DSK va réveiller les traumatismes des victimes d'agressions sexuelles et leur donner l'envie de porter plainte, s'est-on dit en conférence de rédaction. Elles vont être portées par la colère, le choc, l'indignation. C'est sûrement l'heure du grand réveil. Les vannes s'ouvrent. En fait, c'est plus compliqué.

Camille, ex-Rue69, reçoit de nombreux témoignages depuis l'affaire. Des femmes, dont des journalistes, qui se (re)mettent à souffrir, comme si « on appuyait fort sur leurs points de suture ». Camille :

« Elles ont vécu le même parcours que Tristane Banon : dépression, hésitation sur la décision de porter plainte et décision négative, convalescence et maintenant réveil du traumatisme. »

L'une d'elle lui écrit avoir été coincée dans un bureau. L'homme, une personnalité, l'a pénétrée sans préservatif :

« Je suis sûre qu'aujourd'hui encore il ne comprendrait pas que je n'étais pas consentante ; ce qui me fait le plus halluciner, c'est qu'il est engagé contre le sida publiquement et qu'il fait ça régulièrement. »

20% d'appels en plus au Collectif féministe contre le viol

Le docteur Emmanuelle Piet, médecin et présidente de l'association CFCV (Collectif féministe contre le viol), perçoit aussi l'urgence de témoigner chez certaines femmes :

« On parle de viols toutes les 30 secondes dans les médias. Les trois premiers jours, des personnalités ont tenu des propos très crades. »

Au standard de l'association, selon une coordinatrice, il y a environ 20% d'appels en plus depuis le 16 mai. Cela représente près de soixante-dix « nouvelles » victimes, en quelques jours.

Selon la présidente, les réactions peuvent être classées en trois catégories :

celles qui croyaient être guéries et sont étonnées de voir les vieux souvenirs remonter ;
celles à qui cela donne du courage : si une femme « sans protection » peut porter plainte, elles peuvent aussi ;
celles qui ne retiennent qu'une chose : on « emmerde » les victimes, on les maltraite, il ne faut pas porter plainte.

Dans le dernier cas, la parole surgit, mais il ne faut pas s'en réjouir. Ces victimes ne parlent que pour dire qu'elles vont se taire à nouveau.
« Moche, consentante, séropositive… complotiste »

Aurore Sabouraud-Seguin, directrice du centre de psychotrauma de l'Institut de victimologie, confirme :

« De nombreuses patientes me parlent de l'affaire DSK. Cela renforce chez elles une attitude de retrait ou de colère préexistante. Avec cette histoire, les premières vont se recroqueviller encore plus, les autres peut-être aller à la police. »

Selon les associations, les réactions sexistes médiatico-politiques sont en grande partie responsables des attitudes de retraits. Le sondage sur la théorie du complot a choqué de nombreuses victimes (l'employée de New York l'a-t-elle vu ? ). Julie Muret de l'association Osez le féminisme :

« La victime [présumée] de DSK a été tour à tour moche, consentante, séropositive, amorale, prostituée, vénale et complotiste. »

Marilyn Baldeck de l'AVFT (Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail) et qui reçoit aussi beaucoup d'e-mails et de coups de fils :

« Les victimes appellent consternées parce qu'elles connaissent ces stratégie par cœur : les faire passer pour des allumeuses ou des fragiles. Ce sont les mêmes arguments de défense dans nos 350 dossiers. »

Selon une coordinatrice du CFCV, il faut faire du bruit et des rassemblements :

« Seules 10% des victimes de viol portent plainte. Ici, notre rôle est de rétablir l'équilibre. Il faut absolument que les victimes ne sortent pas de cette histoire en pensant qu'il y a une présomption de salope qui pèse sur elles.

L'affaire Outreau a donné envie à de nombreuses victimes de se taire : la parole des enfants a été malmenée. »

« C'est le meilleur moyen pour décourager les autres de parler »

D'autres choses peuvent favoriser le repli. Dans les affaires d'agression sexuelle, il y a souvent une absence de preuves matérielles, souligne l'avocat Didier Maruani, spécialiste du harcèlement.

Emmanuelle Piet regrette aussi la « correctionnalisation permanente » de ces affaires.

Enfin, le risque de voir son nom apparaître dans les médias est bien trop risqué. Les deux victimes de l'affaire Tron en sont victimes ; L'Express a publié leurs noms ce vendredi.

Leur avocat Gilbert Collard va attaquer en justice :

« C'est le meilleur moyen pour décourager les autres de parler. Je me demande si ce n'est pas fait exprès. C'est dramatique.
rue89