mercredi 25 mai 2011

ce petit air de révolution ?

Vous le sentez, vous, dans l'air, ce petit air de révolution ? Le mouvement qui a pris corps en Espagne, dans des dizaines de villes, avec pour épicentre la Puerta del Sol de Madrid rebaptisé « place de la Solidarité » ne demande qu'à déborder vers d'autres villes européennes.

C'est un mouvement étonnant, comparable à nul autre. S'il en retient l'esprit libérateur, l'odeur de jasmin, il n'a rien à voir avec le printemps tunisien qui visait à renverser un régime dictatorial.

Et s'il s'inspire, par son approche libertaire et bon enfant, de Mai 68, il s'inscrit das un contexte économique bien différent : celui d'une crise marquée par un chômage de 21% – et du double pour les moins de 30 ans.

Enfin, s'il est alimenté par les réflexions des altermondialistes, écologistes, associations pour le droit au logement, il s'en affranchit en portant sa lutte au cœur même de la question démocratique.
Remettre la politique devant l'économie

Que disent en effet les « indignados » qui ont pris les places publiques ? Ils constatent que le système actuel marche sur la tête. Nous vivons dans des démocraties, censées agir pour l'intérêt général. Or, si la richesse produite par la population ne décroît pas, les injustices s'aggravent rapidement. La crise financière a fait exploser le chômage, sans affecter les grosses fortunes gonflées pendant des années par le boom artificiel de l'immobilier.

Elu, le Parti socialiste espagnol (PSOE) au pouvoir a oublié ses promesses, oublié le social, oublié qu'il est de gauche : il s'est recroquevillé dans une approche gestionnaire, imposant l'austérité à des populations qui ne sont pour rien dans la crise actuelle.

Il faut donc, disent les « indignados », remettre le système démocratique sur ses pieds : rebâtir une société dans laquelle les hommes et les femmes retrouveraient la maitrise de leur destin, replacer la personne (et non l'argent) au cœur du projet politique.

Il est très réducteur de décrire, comme le font certains, le mouvement de la Puerta del Sol comme un mouvement de « rejet ». Le slogan des indignés n'est pas « nous sommes antisystème », c'est : « Nous ne sommes pas contre le système, nous voulons le changer. » Ces manifestants ne versent ni dans le populisme, ni dans la résignation contestataire : ils construisent.

Ils s'organisent avec soin et méthode, mettant en place des ateliers de discussion, faisant avancer leur réflexion générale, dressant des listes de propositions de réforme :

scrutin proportionnel,
référendums d'initiative populaire,
réquisition des centaines de milliers de logements vides possédés par les banques,
taxe sur la spéculation,
expériences de démocratie participative,
égalité des sexes dans le travail…

On est en présence, comme en rêvait son inspirateur Stéphane Hessel, un mouvement à la fois révolutionnaire et profondément social-démocrate.
Vive la révolution !

Peut-il gagner d'autres pays, à commencer par la France ? Jusque-là, le feu de la « #FrenchRevolution » (c'est le « hashtag » de ralliement choisi sur Twitter) peine à prendre. Quelques petite flammes ont été allumées à Paris, Lyon, Toulouse ou Montpellier. Sur les réseaux sociaux, Twitter ou Facebook, on souffle maintenant sur ces modestes braises…
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Même si les situations espagnole et française sont différentes (le taux de chômage est moindre en France, l'importance des solidarités familiales aussi), les deux pays partagent bien des maux : ce sont deux démocraties moyennes, largement désindustrialisées, vieillissantes, avec sur les bras une génération sacrifiée.

On l'appelle la « génération 1 000 euros » outre-Pyrénées, la « génération précaire » ici.

Des jeunes, souvent diplômés, souvent très connectés, qui ne parviennent plus à trouver un emploi, un logement, à imaginer un avenir. Et qui ne se reconnaissent plus dans la représentation politique qu'on leur propose.
Foule pacifique, constructive

Rue89, comme nos riverains l'ont constaté, suit avec attention ce vent frais venu d'Espagne. Avec attention et, disons-le : avec espoir.

La crise économique et financière aurait pu déclencher dans les pays européens de grands changements : on les attend toujours. Pour régénérer nos démocraties, construire un nouveau système politique et économique plus juste, plus respectueux des personnes et de la planète, il faudra en passer par un rapport de force.

Et rien de mieux qu'une foule pacifique, constructive et déterminée, en période électorale, pour bousculer les anciennes lignes.
rue89