mardi 31 mai 2011

Au Maroc, le pouvoir a signifié la fin de la récré

Au Maroc, le pouvoir a signifié la fin de la récré »
(De Rabat) Alors que de nouvelles manifestations sont organisées via Facebook ce week-end au Maroc, rencontre avec l'un des initiateurs du Mouvement du 20 février en faveur du changement politique, qui s'interroge sur les violences lors des rassemblements dimanche 22 mai – des dizaines de personnes avaient été blessées.

Face aux protestations, Khalid Naciri, porte-parole du gouvernement et ministre de la Communication, justifiait cette répression dans une interview accordée à l'AFP :

« Le gouvernement marocain n'a rien contre ce mouvement, mais nous estimons que ses membres sont manipulés par les islamistes et les gauchistes. Ceux qui craignent une remise en cause des réformes annoncées doivent être rassurés : il s'agit d'un choix stratégique et irréversible. »

Nizar Bennamate à Rabat (DR)Nizar Bennamate est un membre fondateur du Mouvement 20 février. Originaire de Marrakech, il milite au sein du groupe de Rabat.

Ce cyberactiviste de 25 ans est aussi membre de l'Association marocaine des droits humains (AMDH) et du groupe Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (Mali), à l'origine du fameux pique-nique pendant le Ramadan en 2009.

Comment expliquez-vous la répression violente des manifestations du 23 mai ?

Je pense qu'il n'y a rien à expliquer, on voit juste le vrai visage du régime. Ils ont laissé le mouvement manifester pendant trois mois. Maintenant, c'est comme si on nous disait que la récréation est finie, qu'il faut passer à autre chose, afin que la nouvelle constitution soit préparée dans les conditions qui les arrangent, sans manifestations dans la rue.

Pour ça, ils inventent tout un tas de prétextes, expliquant que les protestations sont récupérées par les extrêmes : les islamistes, les salafistes, l'extrême gauche. Et ils interdisent les marches.

On a vu dans les exemples tunisien et égyptien que les « extrêmes » en question ne représentent qu'une partie des manifestants, et que les sociétés concernées ne sont pas prêtes à les accepter. Si tant est que l'on définisse ces extrêmes de la même façon que l'Etat… (Voir le diaporama sur la répression du 23 mai, réalisé par une activiste marocaine)


Que répondez-vous à ceux qui vous accusent d'être récupérés par l'extrême gauche et les islamistes ?

Ils n'ont pas de leçons à donner, parce que ce qu'ils appellent « extrêmes », ce sont des Marocains qui ont cru au changement et qui l'ont apporté.

Ce même discours officiel, qu'il soit tenu par les médias, les responsables ou les partis politiques, était opposé aux manifestations. Et après, les mêmes se sont félicités quand l'Etat a lâché du lest ! C'est une hypocrisie politique.

Les manifestations vont continuer, nous remporterons davantage de victoires, et ils vont encore s'en féliciter, dire que ça confirme l'exception marocaine, alors qu'elles sont obtenues sous la pression de la rue. Je me demande quand est-ce qu'ils auront un minimum de décence politique.

Percevez-vous une radicalisation chez les manifestants ?

Oui, il y a une radicalisation dans les slogans. En fait, ces derniers s'affinent : beaucoup s'adressent directement au roi, et c'est logique, parce que c'est lui qui détient le pouvoir.

Les gens ont la certitude que le changement ne viendra pas des institutions, mais de la rue. Et s'il n'y a pas d'écho à leurs revendications, ils se radicaliseront davantage. Les langues se sont déliées au Maroc.

Depuis quelques semaines, on aborde librement des sujets dont on n'osait même pas parler. N'est-ce pas là la principale victoire du mouvement ? Si les langues se délient, c'est juste par rapport à ce qui se passe. S'il y a du jamais vu au Maroc, c'est normal que les gens en parlent et que ça se reflète dans leurs discussions quotidiennes. Maintenant est-ce que ces discussions vont déboucher sur plus de conscience politique ? J'en suis moins sûr.

Manif Casablanca (DR)

Comment percevez-vous l'attitude du pouvoir depuis le discours du 9 mars ? Y-a-t-il un changement réel ?

Le discours promettait un changement potentiel, mais le reste des institutions n'a pas suivi, qu'il s'agisse du gouvernement, du parlement, des médias officiels ou de la rhétorique officieuse.

Quatre jours après le discours, il y a eu une répression sauvage de la manifestation du 13 mars à Casablanca. Plus récemment, deux manifestations ont été réprimées : celle du 15 mai à Témara et celle du 22 mai sur tout le territoire national.

Pensez-vous, comme le disent de nombreux observateurs, que le mouvement s'essouffle ?

Je pense que cette impression est légitime. Parce que naturellement, le mouvement ne suscite plus les mêmes curiosités. Les choses deviennent plus claires, les gens connaissent les têtes.

Il faudrait partir d'un autre angle. Le 20 février, il y a eu des manifestations dans 53 villes. Le 20 mars, plus de 80. Le 24 avril, plus de 100. C'est un indicateur important. D'autant plus que les défilés sont de mieux en mieux organisés, avec des revendications claires, précises et unifiées.

Le mouvement doit-il rester une force de protestation ou devenir une force de proposition ?

Le mouvement doit rester une force de protestation. Ce sont les partis politiques qui devraient prendre le relais et faire des propositions cohérentes, en gardant en tête que la phase que nous traversons est historique, et que leurs propositions doivent être de cette nature.

La démocratie n'est jamais acquise, si tant est que l'on aille vers la démocratie. Même si le Maroc devient une monarchie parlementaire, le mouvement ne cessera ni d'exister, ni de manifester.

La monarchie est-elle remise en cause au Maroc ?

Si on entend par « remise en cause » que nous souhaitons discuter des pouvoirs du roi, oui, c'est la philosophie même du mouvement. On ne trouvera pas une réponse aux revendications sociales et économiques sans un changement politique radical, il est naturel que le roi soit au centre du débat.

Depuis quelques semaines, on aborde librement des sujets dont on n'osait même pas parler. N'est-ce pas là la principale victoire du mouvement ? Mais ces discussions vont-elles déboucher sur plus de conscience politique ? J'en suis moins sûr.
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