vendredi 22 avril 2011

Yadh Ben Achour préside la Haute Instance de réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique

Yadh Ben Achour préside la Haute Instance de réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, chargée de préparer les futures élections tunisiennes. Trois mois après la chute du régime de Zine El-Abidine Ben Ali, elle vient de jeter les bases du nouveau cadre électoral.

La Tunisie élira, le 24 juillet, ses représentants à la Chambre constituante. Comment la Haute Instance que vous dirigez a-t-elle été mise en place ?

En janvier, cette Haute Instance était une simple commission de réforme politique, dont le rôle était de réviser l'ensemble des textes liberticides qu'utilisait l'ancien régime pour opprimer le pays: la loi sur les associations, sur les partis, sur le terrorisme, le code de la presse, certaines dispositions du code pénal…

Puis un conseil de protection de la révolution, avec des partis et des organisations de la société civile, a été créé et conçu comme une sorte de tuteur du gouvernement, ce qui aurait pu conduire à une crise et à un parallélisme de deux pouvoirs, l'un institutionnel, l'autre révolutionnaire. L'instance que je préside est la synthèse de ces deux logiques.

Elle est composée de 155 membres – ce qui en fait une sorte de parlement! –, représentant douze partis politiques [sur les 51 actuellement enregistrés en Tunisie] – nationalistes arabes, de gauche et d'extrême gauche, qui ont soutenu la révolution – et d'organisations qui ont eu également un rôle très actif comme la Ligue tunisienne des droits de l'homme, l'Union générale tunisienne de travail, l'ordre des avocats, l'Association tunisienne des femmes démocrates… Il y a, enfin, des personnalités connues pour leur rôle dans l'opposition, et des représentants des régions.

Comment l'idée d'une Assemblée constituante est-elle née?

Alors que nous nous acheminions vers une élection présidentielle, c'est le peuple qui a imposé l'idée d'une Assemblée constituante. Il voulait une nouvelle légitimité. Du coup, le problème fondamental devenait : comment élire une assemblée qui échappe au contrôle du ministère de l'intérieur? Nous ne pouvions pas utiliser l'ancienne loi électorale. Notre tâche essentielle a donc été de préparer un nouveau cadre. Nous l'avons fait en trois semaines, un temps record!

Le 11 avril, nous avons adopté deux projets de décret-loi, le premier pour créer une instance supérieure électorale, le second sur l'élection proprement dite. Il a été voté par tous les participants, à l'exception de cinq abstentions. Personne ne s'attendait à ce que nous puissions aboutir. Les discussions ont été difficiles, parfois violentes, dans un climat tendu. Mais quand nous y sommes parvenus, tout le monde, à l'unisson, a entonné l'hymne national. C'était un moment très émouvant, plein d'espoir. Pour la première fois dans son histoire, la Tunisie va connaître de vraies élections libres, non manipulées.

Nous avons ainsi choisi le mode de scrutin proportionnel parce que c'est le système le plus équilibré, qui donne à tous les partis le maximum de chances d'être présents à l'Assemblée constituante.

Vous avez aussi adopté le principe de listes paritaires homme-femmes, une première dans le monde arabe. Cela a-t-il été difficile?

Nous avons adopté le principe de la parité à une écrasante majorité! Si une liste n'est pas paritaire à 50-50, elle ne sera tout simplement pas validée. C'est effectivement historique dans le monde arabe, et même au-delà.

Les anciens cadres du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), aujourd'hui dissous, ne pourront pas se présenter, alors que des anciens ministres ont reçu l'autorisation de créer leur parti. N'y a-t-il pas une contradiction?

Le gouvernement tranchera. Mais la majeure partie des Tunisiens ne veut pas que l'on réintroduise par les élections ce qui a été dissous par la loi. Le peuple ne peut plus sentir l'odeur de ce parti, même sous une autre forme, qui a tant nui au pays, à la justice, à l'université, à la neutralité de l'administration et de l'Etat, dont ils utilisaient illégalement le patrimoine. La Constituante va défaire ce qu'ils ont fait pendant les vingt-trois années de dictature.

C'est une logique incontournable, qui vise uniquement les membres du bureau exécutif, du comité central, les secrétaires généraux des comités de coordination et les présidents de cellule. Cela ne concerne pas les militants.

Le parti islamiste Ennahda fait partie de la Haute Instance. Comment avez-vous perçu sa participation?

Je vous répondrai en tant que citoyen. Ennahda donne toutes les garanties que nous cherchons dans son programme, ses déclarations, notamment sur la liberté de croyance, de pensée et d'expression. S'il respecte ces engagements, alors nous n'avons plus aucun problème avec Ennahda.

L'élection pourra-t-elle vraiment avoir lieu le 24 juillet? C'est un délai très court…

Je le souhaite. Les transitions démocratiques sont délicates, ce sont des zones dangereuses car tout est dans l'attente. Nous ne devons pas contribuer à retarder l'échéance. Mais c'est vrai, la tâche est encore immense. Il va falloir refaire les listes des électeurs – puisque jusqu'ici, même les morts votaient –, mettre à jour les cartes d'identité nationale, organiser les 2000 bureaux d'inscription, ce qui nécessite de former 4000 personnes.

Puis il faudra organiser 7 000 bureaux de vote avec un président et deux assesseurs, soit à nouveau 21 000 personnes à former… Cette opération coûtera environ 20 millions d'euros. Nous marchons toujours sur la corde raide.

Quelles sont les futures étapes ?

Nous préparons un pacte républicain pour imposer à tous ceux qui vont se présenter une déontologie, un standard politique minimum sur les droits de l'homme et le rejet absolu de la violence. Puis le gouvernement provisoire présentera sa démission et un nouveau, désigné par l'Assemblée, prendra sa place.

Lorsque la nouvelle Constitution sera votée, dans le délai de six mois à un an, des élections seront organisées. Nous entrerons alors dans la deuxième République de notre histoire.

Vous allez rencontrer, le 21 avril, à Tunis, le ministre français des affaires étrangères, Alain Juppé. Qu'attendez-vous de la France?

Un revirement de sa position qui n'a pas été jusqu'ici très brillante. On nous disait qu'il était préférable d'avoir le pain sans la liberté, nous n'avons eu ni l'un ni l'autre. Aujourd'hui, nous voulons les deux.
Propos recueillis par Isabelle Mandraud
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