samedi 30 avril 2011

l'endroit où se retrouvent les sans-papiers tunisiens depuis près d'un mois

Tout au nord de Paris, accolé au périphérique, l'endroit où se retrouvent les sans-papiers tunisiens depuis près d'un mois n'est pas facile à trouver. Et pourtant, ce petit square de la porte de la Villette ne désemplit pas. Jeudi 28 avril matin, une petite centaine de Tunisiens assistaient au balai continu des membres d'associations humanitaires, mais aussi des journalistes et des politiques venus à leur rencontre.

Dans un brouhaha permanent, chacun essaie d'obtenir les dernières informations sur "ceux qui se sont fait choper". Mercredi soir, une "cinquantaine" de policiers sont venus interpeller les migrants au moment du dîner. Selon les associations, des dizaines de Tunisiens ont été conduits au commissariat.

Un groupe se forme spontanément autour de Nabil, qui vient tout juste d'être relâché du commissariat. Les yeux clairs, le teint sombre, le jeune homme raconte que "tout s'est passé très vite : on nous servait à manger, et les policiers sont arrivés, en criant. On ne comprenait rien, ils ne nous expliquaient pas, on avait tous très peur". D'un geste, il explique avoir dû laisser ses empreintes. Le jeune homme a été relâché, sans pouvoir expliquer vraiment pourquoi :"On m'a donné un papier, je dois quitter le territoire d'ici sept jours." Quand il finit son récit, les autres Tunisiens l'acclament.

"L'AVENIR, ÇA N'EXISTE PAS"

La préfecture de police a annoncé qu'une "majorité" de ces Tunisiens "ont ou vont faire l'objet d'arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière". Un geste fort pour montrer l'exemple, et prévenir la venue de nouveaux migrants. Une décision qui provoque la colère dans le square : "On le sait, on est arrivés au mauvais moment, on est que des jouets dans la politique", martèle Amal, 44 ans. "Le problème c'est que tant qu'on est un enjeu politique, pour nous, l'avenir, ça n'existe pas."

Ils ont tous conscience d'être au cœur des débats. Sourire aux lèvres, un jeune homme de 17 ans raconte avoir découpé les photos dans les journaux pour les envoyer à sa mère. Leur futur se décide dans les plus hautes sphères de l'Etat : mardi 26 avril, Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi se rencontraient pour régler leurs différends sur le contrôle de l'immigration. "A force d'entendre parler de ces deux-là, on a l'impression que c'est comme de la famille… Ils ont la même importance dans notre vie en tous cas !" lance l'un des migrants.

Lassaad est arrivé il y a deux mois à Paris. Quatre jours par semaine, il dort dans un parc.

Lassaad est arrivé il y a deux mois à Paris. Quatre jours par semaine, il dort dans un parc.Charlotte Chabas

Lassaad, arrivé il y a deux mois à Paris, vient du sud de la Tunisie, près de la frontière libyenne. Il lui aura fallu une semaine et près de 1 500 euros pour gagner la capitale. A Vintimille, il n'a pas pu prendre le train. Il a franchi la frontière à pied, et marché 40 kilomètres pour rejoindre Nice. Depuis son arrivée à Paris, il dort trois jours par semaine chez un ami à lui, dans un petit appartement près du métro Crimée (19e arrondissement). Le reste du temps, il dort dans le parc de la Villette, sous une tente à demi arrachée. "Pas vraiment une tente berbère traditionnelle", plaisante-t-il.

DES HOMMES "À BOUT DE FORCE"

Il reconnaît "être à bout de forces, comme la plupart des gens ici". La tension est telle que les échauffourées sont fréquentes. Le ton monte facilement, pour le moindre prétexte. A midi, une association vient distribuer du pain, quelques sandwiches pour les plus chanceux. Une heure plus tard, c'est une distribution de vêtements qui provoque une cohue. "On en finit par se battre pour trois slips. Quand on ne nous respecte pas, on devient comme des bêtes…", commente Lassaad, un peu à l'écart. A 29 ans, il semble plus calme mais "c'est surtout parce [qu'il est] malade depuis une semaine". Avec cinquante euros pour toutes économies, il préfère attendre que les associations distribuent des médicaments. "Pour ça, moi aussi je me battrai peut-être."

En six ans, c'est la troisième fois qu'il essaie de s'installer en France. Ses six frères et sœurs l'ont regardé partir. "Ils espèrent tous que je réussisse, parce qu'on a beau dire, la France ça reste un rêve pour tout le monde en Tunisie." Les six derniers mois, il travaillait dans un hôtel cinq étoiles, sur la côte : "A la fin de mon contrat, le patron m'a dit qu'il n'y avait pas assez d'argent pour me payer. C'est tout le temps pareil." De son passage en Italie, il a gardé quelques expressions. Presque toutes ses phrases sont ponctuées d'un "mamma mia" lassé.

RÉVOLUTION SANS EFFET

Comme Lassaad, ils expliquent tous être venus pour "gagner leur vie, envoyer de l'argent en Tunisie". Des motivations économiques plus fortes que jamais, malgré la révolution de jasmin qui a fait chuter Ben Ali. Pour Ayeb, 23 ans, étudiant en économie gestion, "la vraie révolution, celle qui nous sortira de la misère, ça ne sera pas avant cinq ans". La discussion s'engage, les pronostics vont bon train : "Pas cinq ans, dix… Il faut reconstruire toute l'économie !" Beaucoup affirment avoir manifesté contre Ben Ali. "On aimerait faire la même chose ici, mais si on prend des pancartes, la police va nous tomber dessus", reprend l'étudiant.

Ayeb a déjà été arrêté par la police. Il devait quitter le territoire avant le 4 avril.

Ayeb a déjà été arrêté par la police. Il devait quitter le territoire avant le 4 avril.Charlotte Chabas

"Quand la Tunisie aura besoin de moi et de mes bras, je rentrerai", reprend Ayeb. En attendant, il espère que "tous les politiques arrêteront leur blabla", et qu'ils les "laisseront tranquilles". De Paris, il n'aura vu presque que ce square pour l'instant, "et c'est loin de ressembler aux guides touristiques que j'avais lu".
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