samedi 26 février 2011

via l’île italienne de Lampedusa

Yassin L.* 21 ans, est l’un des quelque 6 300 migrants tunisiens qui ont rallié l’Europe, via l’île italienne de Lampedusa, depuis la mi-février. Originaire de Ben-Gardane, ville du sud-est de la Tunisie proche de la Libye, ce jeune homme nerveux et aux abois est arrivé il y a quelques jours en région parisienne.

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Lui et ses compagnons de voyage, dont certains rescapés d’un naufrage qui a fait 5 morts et 30 disparus le 11 février, ont rejoint la capitale sans encombre.

Depuis, des renforts policiers ont été déployés dans les départements français du sud-est et une opération de l’agence européenne de surveillance des frontières Frontex a été déclenchée en Méditerrannée. A Lampedusa, les arrivées se sont taries. L’Italie craint désormais un afflux migratoire depuis les côtes lybiennes. Des milliers de réfugiés fuyant la Libye se pressent désormais à la frontière tunisienne... non loin de la région d’où Yassin est parti.

Lui est désormais clandestin. Il a choisi la France, où il n’avait «jamais pensé venir un jour», parce que certains de ses «cousins» y résident (NDLR, il y a environ 600 000 Tunisiens en France, dont les deux-tiers ont la nationalité française). Son récit illustre le désarroi d’une jeunesse sans travail et l’inquiétude qui règne en Tunisie en cette période incertaine de l’après-révolution.

Prépare-toi! «J’ai quitté la Tunisie depuis le port de Zarzis le 7 février à 21 heures. La veille, un cousin m’a appelé: «Prépare-toi, il y a des bateaux pour l’Italie.» Ce soir-là, il y avait cinq bateaux. Sur le mien, un bateau de pêche de 11 mètres, nous étions 22 personnes, avec un moteur de 45 CV. Le trajet jusqu’à Lampedusa a duré 21 heures. On avait pris à manger, on avait des marmites et on a cuisiné à bord. Pendant le voyage, on a pas eu de problèmes. J’ai payé le passage 1 800 dinars (1 000 €). Toute la famille a donné, chacun un peu.»

Elle est tombée, morte. «Je suis parti parce que le pays n’est pas stable. Il y a encore des snipers partout. La Tunisie est comme une voiture sans personne au volant. Il n’y a pas de sécurité. Les milices de Leïla Trabelsi (NDLR: l’épouse du président déchu Ben-Ali) sont toujours là. Deux jours après la chute de Ben-Ali, ma tante a été abattue. Elle était entrain d’arroser des fleurs sur son balcon. Elle a reçu une balle dans le cou. Elle est tombée, morte. Pendant les manifestations, j’ai perdu d’autres amis.»

Frontière. «Je suis parti aussi parce que je n’avais plus de travail. Avant, j’étais commerçant ambulant entre la Tunisie et la Libye. Depuis qu’ils ont fermé la frontière, mi-août 2010, je ne travaille plus. Ils ont détruit comme ça la vie des gens de Zarzis, Ben Gardane, Djerba... Dans ma ville, des gens venaient de toute la Tunisie pour acheter nos produits. Moi, je faisais de la nourriture et des habits. Une fois payé le transport et les intermédiaires, j’arrivais à gagner entre 15 et 20 dinars (7,5 à 10 €) par jour, mais c’était pas tous les jours. Après, j’ai eu le même problème que tout le monde: les gens n’arrivent pas à manger.»

Bac-Lettres. «Je suis d’une famille de six enfants, avec quatre garçons et une fille. Moi je suis au milieu. Mon père n’a pas de travail. Deux de mes frères sont encore lycéens. On a pas de ressources. Comme beaucoup de jeunes qui ont fait la révolution, j’ai passé mon bac. J’ai un baccalauréat-lettres.»

On était libres. «A Lampedusa, on a été bien accueillis. Merci les Italiens! On nous a emmenés dans des anciens hôtels, on nous a donnés des vêtements, il y avait des douches et à manger. On était libres. Après, ils nous ont envoyés en Sicile puis à Bari, où on nous a donnés un papier. Après, je suis parti à Milan. Puis j’ai pris le train pour la France. A la frontière, les policiers français nous ont vus mais ils nous ont laissé passer. Merci la France!»

Ben Ali a trahi. «Je suis venu ici pour travailler. J’ai pas de papiers mais j’espère les avoir un jour. Pour moi, la Tunisie c’est fini (il souffle sur sa main)! Là-bas, il n’y a plus de sécurité, plus de pain. Ben-Ali a trahi son pays et son peuple. C’est un grand voleur. Il a juré sur le Coran mais à l’intérieur, les pages étaient vides. Maintenant, il faut que le pays retrouve sa tranquillité. Moi j’ai choisi mon chemin. Aux Tunisiens, je dis: « Soyez des hommes de patience, jusqu’à ce que Dieu ramène la paix.»»