vendredi 18 février 2011

CASSE-TOI POV' CON

Un professeur du lycée français du Caire a été convoqué à l'ambassade puis rapatrié « pour sa sécurité » parce qu'il avait manifesté contre Hosni Moubarak, place Tahrir, avec une pancarte « Casse-toi pauvre con ». C'est une curieuse histoire que révèle Telerama.fr. Car deux semaines plus tôt à Tunis, la famille d'un autre professeur, entourée par des pillards, s'était vu, elle, refuser un rapatriement.Deux conceptions de la sécurité.

Le professeur, marié à une Egyptienne et père de deux enfants, est convoqué trois jours après avoir manifesté avec sa pancarte « Casse-toi pauvre con ». Cette phrase devenue slogan est associée à Nicolas Sarkozy, parce que le Président l'a prononcée, et parce que le parquet a poursuivi un Français pour « outrage » car ce dernier voulait l'arborer sur un T-shirt au passage du convoi présidentiel.

Lorsque l'enseignant manifeste au Caire, le 1er février, Moubarak n'est pas encore tombé. Il quittera le pouvoir le 11 février. En attendant, la France est officiellement un pays ami du régime égyptien.
« Il s'en sort avec un blâme »

Télérama écrit que le Français a été identifié sur des clichés pris par le photographe de l'ambassade, ce que le Quai d'Orsay dément vigoureusement, assurant qu'il a été repéré sur des images diffusées par BFM-TV.

« Mieux vaut être ministre des Affaires étrangères et proposer de l'aide à un
dictateur qu'être un simple prof et en conspuer un autre », note l'hebdomadaire.

Fonctionnaire français, l'homme est tenu au devoir de réserve, comme d'ailleurs les chercheurs du Centre d'études et de documentation économique, juridique et sociale (Cedej), basé en Egypte, eux aussi rappelés au silence par le ministère des Affaires étrangères.

Le fonctionnaire est rapatrié dès le lendemain, « pour sa sécurité », explique le ministère. Administrativement, selon l'hebdomadaire, il risque, en France, la rétrogradation :

« Il s'en sort avec un blâme. Le Quai d'Orsay lui a d'abord fait comprendre qu'il pourrait rentrer en Egypte et retrouver sa famille l'été prochain, après son départ à la retraite. Moubarak ayant quitté le pouvoir, il pourrait rentrer plus tôt. »

Selon BFM-TV, il sera finalement réintégré le 28 février.
En Tunisie, l'ambassade moins prompte à assurer la sécurité

A Rue89, cette mésaventure a immédiatement fait écho à un message reçu de Tunisie deux semaines avant l'épisode du professeur français au Caire. Il s'agissait aussi d'une question de « sécurité », et encore d'un professeur au lycée français. Mais à Tunis, cette fois.

Très inquiet, un membre de la famille de ce professeur résidant en France nous écrivait le soir du 15 janvier, lendemain de la chute de Ben Ali, que le quartier de Tunis où vivent ses proches est « en proie au pillage » :

« Les dernières nouvelles sont qu'un attroupement se fait devant la maison et que tous les occupants sont descendus à la cave. Depuis nous n'avons plus de nouvelles car les mobiles ne passent pas. »

Une heure plus tard, nouveau mail de la même personne :

« Nous venons d'avoir des nouvelles. [Un de mes proches] a eu le consul de France au téléphone. [Ce proche] lui a demandé ce que le gouvernement français envisage pour ses fonctionnaires alors que les entreprises privées rapatrient leurs salariés.

Il lui a rappelé [que ce proche] était fonctionnaire et [qu'il] n'a pas le droit de quitter la Tunisie. Lorsque [ce proche] lui a rappelé qu'il y avait des enfants, le consul lui a calmement répondu [qu'il] pouvait les mettre dans un bateau ou dans un avion.

Et c'est à eux de se débrouiller pour se rendre pour se rendre à l'aéroport ou au port lorsque ça tire dans tous les coins ? »

« Des différences entre les deux cas », selon le Quai d'Orsay

Interrogé sur les cas de ces deux fonctionnaires dont l'un a été rapatrié pour raisons de « sécurité » et pas l'autre, un diplomate parlant au nom du Quai d'Orsay répond :

« Il y a quand même des différences entre les deux cas, puisqu'en Egypte le risque venait du comportement du fonctionnaire en question.

Ce comportement, qui serait parfaitement normal en France, et heureusement, aurait pu le mettre en danger dans un pays comme l'Egypte, dont les services de sécurité connaissent parfaitement les fonctionnaires français. De plus, à l'époque, le pouvoir égyptien utilisait l'argument d'une révolution organisée par l'étranger.

Il a été rapatrié pour ne pas les mettre en péril, lui et ses collègues. Il l'aurait été aussi s'il avait manifesté avec un panneau “Dégage Moubarak”.

Il a d'ailleurs été suspendu, pas sanctionné. »

Le diplomate, qui reconnaît que d'autres Français ont manifesté place Tahrir (mais sans savoir s'il s'agit de fonctionnaires ou non), n'a pas eu connaissance d'autres rapatriements.

Concernant l'épisode tunisien, le même diplomate demande des précisions sur l'identité de la personne, que nous refusons évidemment de lui donner. Il lui est donc « difficile de commenter », mais :

« Le fait qu'on lui ait interdit de rentrer en France parce qu'il est fonctionnaire me paraît impossible. Il est possible qu'on lui ai dit qu'il n'y avait pas de dispositif pour rapatrier les Français, il y en avait 20 000 en Tunisie et nous n'avons effectivement pas organisé de dispositif de rapatriement. »

Mis à jour le 17/2 à 18h42 : BFM-TV annonce que le professeur du Caire sera réintégré.

Illustration : un professeur français défile contre Hosni Moubarak le 1er février au Caire (capture d'écran d'un reportage de BFM-TV par Telerama.fr).