samedi 26 février 2011

Au lendemain du "vendredi de la colère"

L'arme au poing, une poignée de militaires contient les manifestants les plus hardis qui tentent de passer les barbelés protégeant le ministère de l'Intérieur, avenue Habib Bourguiba, à Tunis. Au lendemain du "vendredi de la colère", la plus importante manifestation depuis le départ du président Ben Ali, des dizaines de Tunisiens entonnent des chants populaires et crient des slogans hostiles à Mohamed Ghannouchi, le chef du gouvernement de transition. Plus loin, sous une pluie battante, des employés de la voirie tentent d'effacer les dégâts (vitres brisées, panneaux publicitaires arrachés, planches brûlées) provoqués par les affrontements qui ont opposé vendredi soir, et tard dans la nuit, les manifestants à la police.

Jeunes, étudiants, lycéens et chômeurs dénoncent sa "lenteur", mais aussi ses "ruses" pour "confisquer la révolution" et rétablir la dictature. Premier ministre depuis 1999 de l'ancien président Ben Ali, Mohamed Ghannouchi, maintenu dans ses fonctions, est particulièrement visé par les manifestants. Ils lui demandent carrément de "dégager" immédiatement.

Mouvements de panique

Vendredi, le gouvernement provisoire a pourtant annoncé que les prochaines élections se dérouleraient au plus tard à la mi-juillet 2011. Il a également approuvé un projet-loi portant sur la saisie des avoirs de 110 personnes liées à l'ancien pouvoir Ben Ali-Trabelsi. Enfin, il envisage de doubler la capacité de recrutement dans la fonction publique.

Ces promesses n'ont pas permis d'éviter les débordements de la manifestation en fin d'après-midi sur la grande avenue Habib Bourguiba, au centre de la capitale. La foule - entre 100 000 et 200 000 personnes - a été noyée sous les grenades lacrymogènes, tandis que l'on entendait des tirs d'armes automatiques et que des hélicoptères tournoyaient au-dessus de la ville. Les forces de l'ordre, jusqu'ici fort discrètes, ont provoqué mouvements de panique, bousculades et piétinements.

"Confisquer la révolution"

Des dizaines de personnes apeurées qui suffoquaient, des femmes allongées sur le sol, ont tenté de trouver refuge dans le hall d'un hôtel situé sur cette grande artère. D'aucuns ont pu rester une partie de la nuit, tandis que dans les couloirs de l'établissement, des employés, armés de longs bâtons, faisaient la chasse aux manifestants.

Une jeune fille en pleurs appelait vainement son frère, perdu dans la manifestation. "Si la police politique nous attrape, nous serons battus, emprisonnés des jours, des semaines, des mois", assuraient de jeunes "réfugiés". "Le gouvernement a confisqué la révolution, c'est à nouveau la dictature", juraient-ils. Deux d'entre eux ont montré des douilles qu'ils avaient ramassées dans les rues. Dehors, des manifestants incendiaient des barricades de fortune et descellaient des pavés, tandis que des policiers vêtus de noir, casqués, portant boucliers et longues matraques, balayaient à marche lente toute l'avenue Habib Bourguiba en direction de la Kasbah.